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Portrait de Mathieu Leveque – psychologue spécialisé dans l’éco-anxiété

Mathieu Leveque est psychologue à Lausanne. Il est spécialisé dans l'éco-anxiété et les émotions liées à la crise climatique.

Temps de lecture 5′

Fin 2022, sur le point d’achever ma formation de praticienne en thérapie forestière, j’ai adressé des messages à des professionnels.les spécialisé.e.s dans l’éco-anxiété.

Ces messages avaient comme but de faire connaissance et de leur présenter l’apport complémentaire de la thérapie forestière auprès des personnes souffrant d’éco-anxiété.

Mathieu est l’un de ces professionnels.

Nous avons rapidement sympathisé, partageant des valeurs communes, partageant aussi l’amour pour le  Vivant.

Puis un jour a émergé l’idée de co-construire un accompagnement de groupe en forêt, destiné aux personnes éco-anxieuses.

Aujourd’hui, je vous propose de découvrir le parcours de Mathieu.

PORTRAIT DE MATHIEU LEVEQUE

Mathieu Leveque est psychologue à Lausanne. Il est spécialisé dans l'éco-anxiété et les émotions liées à la crise climatique.

Mathieu, peux-tu te présenter ? 

Je m’appelle Mathieu Leveque, j’ai 33 ans, je vis à Lausanne depuis bientôt 5 ans. Je suis d’origine française ; j’ai fait mes études à Rouen et à Lille en France, et je suis psychologue, diplômé depuis 2015.

Ma formation initiale est en neuropsychologie : j’ai travaillé d’abord dans des services de rééducation neurologique, puis en psychiatrie.

Depuis mon arrivée en Suisse, je travaille justement dans un centre de psychiatrie et psychothérapie, principalement avec une population jeune, étant rattaché à une unité pour étudiants.

Depuis octobre 2022, je me suis lancé dans une activité indépendante, dans le but de proposer des consultations autour du thème de l’éco-anxiété et de l’accompagnement émotionnel en lien avec la crise climatique.

Peux-tu nous expliquer ce qu’est l’éco-anxiété ?

L’éco-anxiété est un terme plutôt récent, apparu dans un article du Washington Post en 1990 ; il a depuis été beaucoup repris et ces derniers temps nous l’entendons de plus en plus dans les médias.

Il n’y a pas de définition consensuelle, mais Susan Clayton, chercheuse américaine spécialiste du domaine, propose de le caractériser comme tel : « une anxiété associée aux conséquences actuelles et futures du changement climatique, du manque d’action à son égard, et à l’incertitude quant aux conséquences anticipées. »

À mes yeux, beaucoup de choses sont dites dans cette définition : il y a déjà des conséquences actuellement, l’inquiétude vis-à-vis de l’avenir est présente mais également le sentiment d’inaction dans la société qui est un véritable moteur d’éco-anxiété chez beaucoup de personnes.

Cependant, ce terme met le focus sur l’anxiété, alors que le ressenti émotionnel est en réalité beaucoup plus large et recouvre une palette diverse (colère, tristesse, culpabilité, impuissance, etc.) : nous pourrions alors parler d’«éco-émotions ».

D’autres termes ont également fait leur apparition, comme la « solastalgie », ressenti qui émerge chez l’individu après constatation de la perte ou de la dégradation d’un environnement aimé, comme un « exil sans départ » comme explique le philosophe Baptiste Morizot.

Des auteur·e·s font également un parallèle avec les étapes du deuil, décrites initialement par la psychiatre Elizabeth Kübler-Ross (déni, colère, marchandage, dépression et acceptation) : ces étapes ne sont pas linéaires et peuvent être vécues de manière non-figée. Pour certaines personnes, nous pouvons parler vraiment de « deuil écologique ».

Peux-tu nous parler de ton métier de psychologue spécialisé dans l’éco-anxiété ?

Une interrogation revient souvent de la part des personnes éco-anxieuses qui consultent : pourquoi je viens voir un·e psychologue alors que j’ai l’impression d’être simplement lucide sur l’état du monde et que ce sont plutôt nos sociétés qui sont malades ou qui dysfonctionnent ?

En effet, ne pas pathologiser ou psychiatriser cette éco-anxiété est essentiel.  En tant que psychologue, je vois vraiment mon rôle de thérapeute comme un accompagnant du cheminement émotionnel de ces personnes, pouvoir légitimer leurs ressentis et les amener à exprimer et nommer leurs émotions pour les traverser, plutôt que de chercher à tout prix à les éradiquer, à les “mettre sous le tapis”.

Ces questionnements touchent l’individu sur beaucoup de sphères primordiales de sa vie (questionnements existentiels, remise en cause professionnelle, dégradation relationnelle avec certain·es proches, choix de faire des enfants, etc.).

Toutefois, je suis totalement conscient que la crise climatique appelle à des réponses globales, notamment aux niveaux institutionnel et politique. Il ne s’agit absolument pas d’une individualisation des réponses à des problématiques systémiques. Nous avons besoin d’actions collectives, sociales et organisationnelles fortes, et je pense que pour cela et pour être efficace dans le collectif, savoir prendre soin de soi est indispensable.

Qu’est-ce qui t’a amené à te spécialiser dans ce domaine ?

Comme je l’ai mentionné, je suis au contact d’une patientèle jeune depuis plusieurs années. Durant les suivis, même si les motifs de consultations sont tout autres, le sujet de l’éco-anxiété, ou plus largement des questionnements autour de l’écologie, arrivent très souvent d’une manière ou d’une autre sur la table.

Un certain nombre de personnes font part d’une mauvaise expérience passée avec un·e « psy » ou autre thérapeute quand ils ou elles se sont ouvert·es sur la question. En effet, soit le ou la thérapeute minimise le ressenti de la personne, lui explique que ce n’est pas le lieu pour discuter de ces choses-là, voire dénie la réalité du changement climatique. Les effets peuvent être désastreux et il y a un véritable enjeu autour de la formation des professionel·les sur ces sujets.

Offrir un espace dédié m’est apparu comme crucial et pouvant répondre aux besoins spécifiques des personnes concernées. D’autre part, évidemment que le sujet m’intéresse et me touche à titre personnel. J’ai moi-même traversé des phases difficiles en m’informant sur la situation écologique actuelle. Je veille à ne pas me placer dans une position de « savant » par rapport à mes patient·es, au fond nous sommes dans le même bateau.

Quelles sont les personnes que tu accompagnes ? Quels bénéfices elles retirent de tes accompagnements ?

Il y a un biais de sélection dans les personnes que je rencontre, du moins pour le moment : mon bureau étant situé en ville à Lausanne, je vois essentiellement des citadin·es, plutôt jeunes et avec des niveaux d’éducation élevés.

Néanmoins, les études récentes tendent à montrer que tout le monde peut être touché par l’éco-anxiété, peu importe l’âge, le genre, le niveau d’éducation ou le lieu de vie. Il ne s’agit donc pas d’une « tendance bobo » ou autre.

Cependant, il est vrai qu’il y a des effets générationnels observables que l’on ne peut pas nier ; après tout, ce sont les jeunes générations actuelles qui auront à affronter les conséquences futures du dérèglement climatique (même si les effets se ressentent d’ores et déjà).

L’apport de la psychologie et des différents outils selon les approches théoriques peuvent offrir un panel de réponses diversifiés, à adapter en fonction de la demande et de la situation de chaque personne.

Un des principaux objectifs est de (re)mettre la personne en action. En effet, la peur, sous ses différents aspects (anxiété, stress, angoisse) peut paralyser et l’objectif est d’accompagner la personne à se mettre en mouvement : n’oublions pas la racine latine du mot émotion « movere » qui signifie mouvement.

Nous voyons donc bien le rôle fondamental des émotions dans ce processus. Il s’agit également de faire en sorte que la personne trouve des ressources en allant chercher du lien et du soutien social (associations, groupes, etc.). Enfin, un des aspects importants est également le lien à la nature.

Parlons de la nature : qu’est-ce qu’elle t’apporte ?

Rien que l’existence du mot « nature » en lui-même signifie que nous en sommes séparés dans un sens.

Dans d’autres cultures, ce mot n’existe pas, car certains peuples se considèrent comme faisant partie intégrante de cette nature. Pouvoir se (re)connecter avec la nature et l’ensemble du vivant, au niveau individuel mais aussi sociétal, est un enjeu primordial pour arrêter de tout saccager.

Pour ma part, les espaces naturels qu’offre la Suisse sont précieux. Que ce soit les rives du lac, les forêts et la montagne sont des bouffées d’air inestimables (accessibles en transports publics la plupart du temps !), qui m’aident réellement à gérer des périodes émotionnelles difficiles.

Pour conclure, as-tu un conseil à donner aux lecteurs.trices de l’article qui souffrent d’éco-anxiété ?

Si je devais résumer, je dirais de ne pas rester seul·e. Même si parfois nous pouvons avoir le sentiment que les choses s’empirent ou ne vont pas assez vite, en réalité il y a énormément de monde qui ressent un malaise, s’exprimant différemment, sur la situation actuelle.

Beaucoup d’initiatives sont portées localement et s’engager dans des actions concrètes permet de réduire le sentiment d’impuissance La solution ne passe pas forcément par la consultation d’un·e psychologue.

Nous l’avons vu l’éco-anxiété n’est pas pathologique, mais si ce n’est pas « être malade » cela peut « rendre malade » dans un certain sens, et savoir trouver de l’aide n’est pas un signe de faiblesse. Pouvoir être accompagné·e quand les conséquences deviennent néfastes dans la vie quotidienne peut être réellement bénéfique.

Et pour conclure, nous venons de le voir, se ressourcer dans la nature apparaît comme une des clés de voûte de la gestion de l’éco-anxiété.

POUR ALLER PLUS LOIN

Site internet de Mathieu

Sa page LinkedIn

Son compte Instagram

Groupe “Epicéa” – accompagnement éco-anxiété et nature

Le Cercle fertile – jeu narratif et bain de forêt

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